Selon qu'elle raconte, exprime des sentiments, les mets en scène ou
réfléchit à leur sujet, et selon la forme adoptée, la poésie se
divise en différents genres
A L'essence de la poésie
Définir la poésie est délicat en soit et l'est encore plus si
l'on envisage toutes les pratiques possibles que l'on peut en faire :
la lire, la dire, la déclamer, la réciter, la chanter
ou...l'expliquer.
Entre toutes les définitions proposées, qui se veulent souvent
aussi « poétiques » que leur objet, il semble que l'on
pourrait la voir comme:
-une façon différente de réagir, une manière d'être et d'ouvrir
les yeux qui révèle que :
- « la poésie n'est en rien nulle part, sauf dans le
regard qui assure la souveraineté de l'homme sur les choses de la
création » (Réverdy)
-une façon différente de parler : quand Bonnefoy dit : « Et
dans son rêve il y avait une jeune fille » ou quand Zola écrit
: « cette nuit de la terre qu'ils dormiraient », ils
imposent à la langue habituelle une rupture qui fait naître la
poésie. Claudel d'ailleurs définissait la poésie comme
« agrammaticale » par rapport à la prose. La poésie
serait « le langage ordinaire à qui on aurait tordu le coup »,
un discours qui en dit plus. La poésie devance le mot : « le
poète ne peut pas longtemps demeurer dans la stratosphère du Verbe.
Il doit se lover dans de nouvelles larmes et pousser plus avant dans
son ordre » (René Char)
B Ses moyens d'expression
1 La création poétique est-elle basée sur l'inspiration ou sur le
travail d'écriture ? Les deux sont possibles
2 Elle fait appel à un autre chose qu'à la raison, l'intelligence,
la logique ; chez le lecteur et surtout sur l'auditeur, elle
sollicite l'irrationnel : imagination, associations, intuition,
sensibilité, enthousiasme, rêve, mysticisme, envoûtement,
bien-être physique, bonheur. La poésie est là pour combler une
attente, créer une obsession.
3 Les thèmes poétiques sont
-ceux qui justement paraissent propres à toucher en nous
l'irrationnel (exotisme, obscurité, barbare, mélancolie,
mysticisme, rêve, idéal, infini, mystère, sensibilité,
souffrance, grandeur, beauté..) de telle sorte qu'on a appliqué le
qualificatif de poétique à tout ce qui dépasse la connaissance
claire et nous touche obscurément (lune, source de rêverie, de
mystère nocturne, d'exaltation lyrique)
-mais il y a une poésie des idées claires (Racine, Lucrèce), des
circonstances les plus extraordinaires ( la poésie intimiste) , des
choses vulgaires ou laides (Prévert). La poésie n'est pas forcément
dans les choses, mais dans une certaine manière de les voir et de
les exprimer.
4 Un style poétique peut se définir à travers :
-ses éléments (le mot, la syntaxe, les figures de style, la mesure
du vers ; son rythme : rimes, accents, pauses ; les groupements de
vers, la musique, des sons), dont certains appartiennent aussi à la
prose. La poésie ne se réduit donc pas à la simple versification
(dont elle se distingue, en outre, par le fait qu'elle n'est pas
uniquement un style, mais une attitude devant les choses), et il
existe une prose poétique
-un langage poétique que chaque époque a cru bon de définir :
A l'époque classique, on prône la noblesse du langage
Les Romantiques ont rompu avec la noblesse, les figures
artificielles, tout en respectant la syntaxe, en conservant l'image
et la métaphore qui donnent la couleur, l'hyperbole et l'antithèse
qui donnent la force, en conférant de nouveaux rôles à l'adjectif.
A leur tour, les Symbolistes ont critiqué la rhétorique romantique
ou parnassienne, ont rendu la liberté au mot, joué sur l'obscurité,
assoupli la syntaxe, renoncé à la cohérence logique des
métaphores, cherché des correspondances ( de nouveaux rapports
poétiques entre les choses), une nouvelle musique
De nos jours, chez un poète comme Prévert, on trouve, côte à côte
les mots les plus vulgaires, les tours syntaxiques les plus
populaires, des énumérations qui établissent des rapprochements
inattendus, des images qui sans altérer métaphoriquement l'objet,
transfigurent le monde en une sorte de séquence cinématographique,
des alliances ou des dissociations de termes, des coq-à-l'âne,
lapsus, calembours, ellipses qui disloquent le réel et substituent à
notre vision logique ou routinière une nouvelle optique.
Il est donc vain de vouloir limiter à une forme donnée le langage
poétique. Il se distingue de la prose parce que, quels que soient
les moyens qu'il emploie, il vise à suggérer au-delà de la pensée
logique ; ou à condenser, à styliser à l'extrême ; ou à éveiller
les puissances irrationnelles, mais en même temps, à donner à
l'expression une sorte de nécessité qui condamne les ornements de
pure rhétorique, et que renforce le fait que le langage est enchâssé
dans le vers.
C Ses missions (à la poésie ^^)
1 Décrire: Horace disait « ut pictura poesis », la
poésie est une peinture, c'est-à-dire que la poésie prend pour
sujets ceux de la description et utilise les formes, les couleurs et
les sons.
C'est celle qu'ont pratiquée la Pléiade, Régnier, Boileau, La
Fontaine, le pittoresque romantique, Hugo, Musset, Gautier, les
poètes intimistes (Sainte-Beuve, Coppée), le Parnasse, Baudelaire
(êtres et paysages parisiens), Malarmé, Ponge, Prévert.
Comment juger cette poésie descriptive ?
-elle a contre elle ceux qui assignent d'autres buts à la poésie,
et en particulier ceux qui pensent que la poésie décrit mal, car
« mesure et rime » (Buffon), gène la liberté du
pinceau, alors que la prose est plus précise, variée et colorée.
En cherchant l'exactitude, la poésie devient prosaïque et perd son
prestige, qui est de faire rêver ou d'exprimer l'essence des choses
et non l'apparence. De plus, « la poésie est une chanson selon
le poète et qui exprime premièrement la nature du poète et disons
même son corps. Cette chanson ne se soumet jamais à la chose
extérieure; au contraire, elle plie et la déforme selon
l'inflexible chant » (Alain)
-mais la poésie descriptive n'est pas condamner à être, comme elle
le fut par l'abbé Delille par exemple, une « poésie qui
décrit beaucoup sans faire rien apparaître » (Alain). Les
moyens de la poésie permettent de faire apparaître, de dévoiler,
de faire voir les choses pour la première fois et pour toujours.
2 Orner et mettre en valeur une pensée claire
-C'est la conception du XVII et XVIIIe siècle (Corneille, Racine, La
Fontaine, Boileau), la pensée pourrait appartenir à la prose, la
poésie est dans la forme (valeur mnémotechnique du vers, images,
rythme oratoire, musique des mots)
-La poésie philosophique en est une illustration particulière :
elle met en valeur des maximes, un système organis2 (Lucrèce);
c'est une poésie vibrant d'une passion philosophique (Hugo, Vigny)
qui sert des symboles; elle condense la pensée, lui donne plus de
force et d'éclat.
-Cette poésie trouve sa grandeur dans la richesse et la beauté des
idées (Hésiode, Virgile, Dante) mais elle est critiquée par les
partisans des autres missions de la poésie et les modernes du
XVIIIème siècle,qui pensent que les ornements irrationnels de la
poésie affaiblissent la rigueur de la pensée.
3 Exprimer les émois du coeur, comme le fait de la poésie lyrique
telle que l'ont surtout conçue les Romantiques : le poète exprime
son monde intérieur et sert en même temps d'écho sonore à tous
les sentiments
-Comme pour la conception 2, la forme est surtout un ornement, mais
la sensibilité, par son caractère irrationnel, devient une attitude
poétique qui saisit ce qui échappe à la raison claire.
-Elle rencontre l'opposition de ceux qui considèrent que la
sensibilité n'a rien à voir avec la poésie ou qui penchent pour
les autres conceptions.
4 La poésie est connaissance, ou plutôt « co-naissance »,
selon Claudel : c'est à dire qu'en revenant à l'étymologie du mot,
elle fait, recrée les choses
-Elle est moyen de connaissance, un des moyens d'apprendre le monde.
L'attitude poétique ne consiste pas seulement à exprimer les choses
dans un certain style, mais à les voir d'une façon fondamentalement
différente de celle du prosateur. La poésie est la « connaissance
du réel incréé » ( René Char)Au monde logique que peuvent
connaître science, raison, esprit de finesse, la poésie préfère
le domaine de l'irrationnel qu'elle seule peut explorer, car l'état
poétique est voisin de l'état mystique, et donc essentiellement
différent de l'émoi de la sensibilité claire. Par ailleurs, seule
la poésie peut, sinon éclairer, du moins faire entrevoir par
intuition, grâce à la magie irrationnelle de son langage
-Le poète est un voyant, par conséquent il nous offre un monde qui
n'est que merveilles. C'est la position d'Eluard. Cette conception
est partagée par Platon, la Pléiade, qui en théorie du moins,
voient dans le poète un « vates », un devin (la pléiade
se rapproche de la conception 1,2,3 ou 5); c'est aussi le poète
voyant ou mage de Hugo hanté par des visions qui lui donnent une
intuition du Mystère ( de l'univers^^) qu'il transcrit en image ou
en idées, ou le poète symboliste, alors que les chez les
Romantiques on trouvait déjà Nerval, explorateur du rêve, et que
Baudelaire cherchait à déchiffrer la surnature et les
correspondances
-Elle est aussi connaissance des hommes, en particulier ses zones
obscures, irrationnelles (Rimbaud : « je fixais des délires »)
et connaissance de l'absolu, d'un au-delà dont la poésie ouvre la
porte ( Baudelaire et les correspondances). La tentation est alors
celle de la poésie pure qui, débarrassé de l'inutile besoin de
signifier, hante certains écrivains (Malarmé): on privilégie alors
l'image et le rythme. « La poésie,surtout la poésie moderne,
n'a nullement pour mobile la pensée […] alors qu'en prose on
cherche à fixer, à immobiliser la pensée » (Supervielle)
Mais cette conception risque de détourner la poésie de l'humain et
de l'éloigner du grand public par son aspect ou côté obscur
(rien à avoir avec Star Wars^^)
5 Elle est chant de l'âme : le poète n'intellectualise pas ses
sentiments mais rend musicalement un certain nombre de rythmes
profonds qu'il sent en lui
-La poésie est donc musique et accessoirement image, la pensée
claire importe peu et le sens ne se rattache que vaguement à l'effet
suggestif de l'ensemble (Verlaine, Apollinaire) ou même n'existe
pas, la poésie n'étant que libération de l'inconscient
(Surréalisme)
-Cette conception présente le danger de limiter l'univers à celui
du poète ; la communication devient alors difficile, la poésie
renonce à ses autres missions et on peut même penser qu'il y a,
chez les Surréalistes, disparition de tout travail artistisque.
6 La poésie engagée: Elle cherche à entraîner, à pousser à
l'action, à éveiller l'enthousiasme. C'est une forme de la poésie
qui exprime le coeur mais se veut active.
-La poésie a longtemps été didactique (La Fontaine et ses Fables)
et se veut de nouveau pédagogique au XIXème siècle, en particulier
avec Lamartine et Hugo. Au Xxème, les oeuvres de Claudel, Péguy
militent pour leur foi alors qu'un des plus beaux exemples de cette
poésie engagée est sans conteste celle de la Résistance (Aragon,
Eluard,Char) Le poète chilien Neruda va même jusqu' à dire :
« La poésie est une insurrection » et effectivement,
elle est souvent un moyen d'expression privilégié pour les
opposants aux régimes totalitaires.
-Ses procédés favoris sont le recours aux sentiments simples, aux
thèmes mobilisateurs (justice, liberté..), aux images frappantes,
aux symboles élémentaires, à l'obsession du rythme.
- On a beaucoup critiqué cette poésie, depuis les Classiques (qui
prône le bon sens, la discrétion, la litote), jusqu'à ceux qui
jugent l'engagement comme une régression, une prostitution de la
muse : Gautier et le Parnasse, Baudelaire, Mallarmé (pour qui la
vulgarisation de l'art est une impiété, un gachis), Valéry,
Pasternak ( « le poète est comme un arbre dont les feuilles
bruissent dans le vent, mais qui n'a le pouvoir de conduire
personne. »)
D La poésie en question
1 Elle est rejetée par :
-ceux qui se méfient de sa puissance (Platon)
-ceux qui sont exaspérés par ses formes dégénérées, ses
débordements. Flaubert définit dans son Dictionnaire des idées
reçues le poète comme « un synonyme noble de nigaud »
-ceux qui lui reprochent son caractère ésotérique, qui semble en
faire un art aristocratique, élitaire
-ceux qui la méprisent parce qu'ils sont rationaliste et que seules
comptent pour eux les idées claires (Montesquieu)
-tous les « béotiens » sensible uniquement à l'utilité
pratique
2 Elle est utile car:
-elle procure un plaisir
physique par sa cadence, sa musique, son chant, son émotion,...
de l'imagination (évasion,fantaisie,mystère,rêve...)
-elle crée la beauté en renouvelant la vision des choses rendues
plus essentielles, plus neuves
-elle offre un accès aux choses intellectuelles, aux idées, aux
mondes obscurs, aux profondeurs de soi-même, à ce qui dans autrui
n'est pas rationnellement communicable et ne peut être suggéré que
par l'intuition
-elle affine et enrichit la sensibilité, l'enflamme et l'incite à
l'action, console, apaise, permet la communication entre les hommes
-elle a donc une valeur morale, car elle purifie les passions, exalte
l'héroïsme, le dévouement national ou social
-elle a aussi une valeur civilisatrice comme en témoigne
l'importance de la poésie dans les civilisations antiques.
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