mardi 17 avril 2012

Poésie


Selon qu'elle raconte, exprime des sentiments, les mets en scène ou réfléchit à leur sujet, et selon la forme adoptée, la poésie se divise en différents genres

A L'essence de la poésie

Définir la poésie est délicat en soit et l'est encore plus si l'on envisage toutes les pratiques possibles que l'on peut en faire : la lire, la dire, la déclamer, la réciter, la chanter ou...l'expliquer.
Entre toutes les définitions proposées, qui se veulent souvent aussi « poétiques » que leur objet, il semble que l'on pourrait la voir comme:
-une façon différente de réagir, une manière d'être et d'ouvrir les yeux qui révèle que :
-  « la poésie n'est en rien nulle part, sauf dans le regard qui assure la souveraineté de l'homme sur les choses de la création » (Réverdy)
-une façon différente de parler : quand Bonnefoy dit : « Et dans son rêve il y avait une jeune fille » ou quand Zola écrit : « cette nuit de la terre qu'ils dormiraient », ils imposent à la langue habituelle une rupture qui fait naître la poésie. Claudel d'ailleurs définissait la poésie comme « agrammaticale » par rapport à la prose. La poésie serait « le langage ordinaire à qui on aurait tordu le coup », un discours qui en dit plus. La poésie devance le mot : « le poète ne peut pas longtemps demeurer dans la stratosphère du Verbe. Il doit se lover dans de nouvelles larmes et pousser plus avant dans son ordre » (René Char)

B Ses moyens d'expression

1 La création poétique est-elle basée sur l'inspiration ou sur le travail d'écriture ? Les deux sont possibles

2 Elle fait appel à un autre chose qu'à la raison, l'intelligence, la logique ; chez le lecteur et surtout sur l'auditeur, elle sollicite l'irrationnel : imagination, associations, intuition, sensibilité, enthousiasme, rêve, mysticisme, envoûtement, bien-être physique, bonheur. La poésie est là pour combler une attente, créer une obsession.

3 Les thèmes poétiques sont
-ceux qui justement paraissent propres à toucher en nous l'irrationnel (exotisme, obscurité, barbare, mélancolie, mysticisme, rêve, idéal, infini, mystère, sensibilité, souffrance, grandeur, beauté..) de telle sorte qu'on a appliqué le qualificatif de poétique à tout ce qui dépasse la connaissance claire et nous touche obscurément (lune, source de rêverie, de mystère nocturne, d'exaltation lyrique)
-mais il y a une poésie des idées claires (Racine, Lucrèce), des circonstances les plus extraordinaires ( la poésie intimiste) , des choses vulgaires ou laides (Prévert). La poésie n'est pas forcément dans les choses, mais dans une certaine manière de les voir et de les exprimer.

4 Un style poétique peut se définir à travers :
-ses éléments (le mot, la syntaxe, les figures de style, la mesure du vers ; son rythme : rimes, accents, pauses ; les groupements de vers, la musique, des sons), dont certains appartiennent aussi à la prose. La poésie ne se réduit donc pas à la simple versification (dont elle se distingue, en outre, par le fait qu'elle n'est pas uniquement un style, mais une attitude devant les choses), et il existe une prose poétique
-un langage poétique que chaque époque a cru bon de définir :
A l'époque classique, on prône la noblesse du langage
Les Romantiques ont rompu avec la noblesse, les figures artificielles, tout en respectant la syntaxe, en conservant l'image et la métaphore qui donnent la couleur, l'hyperbole et l'antithèse qui donnent la force, en conférant de nouveaux rôles à l'adjectif.
A leur tour, les Symbolistes ont critiqué la rhétorique romantique ou parnassienne, ont rendu la liberté au mot, joué sur l'obscurité, assoupli la syntaxe, renoncé à la cohérence logique des métaphores, cherché des correspondances ( de nouveaux rapports poétiques entre les choses), une nouvelle musique
De nos jours, chez un poète comme Prévert, on trouve, côte à côte les mots les plus vulgaires, les tours syntaxiques les plus populaires, des énumérations qui établissent des rapprochements inattendus, des images qui sans altérer métaphoriquement l'objet, transfigurent le monde en une sorte de séquence cinématographique, des alliances ou des dissociations de termes, des coq-à-l'âne, lapsus, calembours, ellipses qui disloquent le réel et substituent à notre vision logique ou routinière une nouvelle optique.
Il est donc vain de vouloir limiter à une forme donnée le langage poétique. Il se distingue de la prose parce que, quels que soient les moyens qu'il emploie, il vise à suggérer au-delà de la pensée logique ; ou à condenser, à styliser à l'extrême ; ou à éveiller les puissances irrationnelles, mais en même temps, à donner à l'expression une sorte de nécessité qui condamne les ornements de pure rhétorique, et que renforce le fait que le langage est enchâssé dans le vers.

C Ses missions (à la poésie ^^)

1 Décrire: Horace disait « ut pictura poesis », la poésie est une peinture, c'est-à-dire que la poésie prend pour sujets ceux de la description et utilise les formes, les couleurs et les sons.
C'est celle qu'ont pratiquée la Pléiade, Régnier, Boileau, La Fontaine, le pittoresque romantique, Hugo, Musset, Gautier, les poètes intimistes (Sainte-Beuve, Coppée), le Parnasse, Baudelaire (êtres et paysages parisiens), Malarmé, Ponge, Prévert.
Comment juger cette poésie descriptive ?
-elle a contre elle ceux qui assignent d'autres buts à la poésie, et en particulier ceux qui pensent que la poésie décrit mal, car « mesure et rime » (Buffon), gène la liberté du pinceau, alors que la prose est plus précise, variée et colorée. En cherchant l'exactitude, la poésie devient prosaïque et perd son prestige, qui est de faire rêver ou d'exprimer l'essence des choses et non l'apparence. De plus, « la poésie est une chanson selon le poète et qui exprime premièrement la nature du poète et disons même son corps. Cette chanson ne se soumet jamais à la chose extérieure; au contraire, elle plie et la déforme selon l'inflexible chant » (Alain)
-mais la poésie descriptive n'est pas condamner à être, comme elle le fut par l'abbé Delille par exemple, une « poésie qui décrit beaucoup sans faire rien apparaître » (Alain). Les moyens de la poésie permettent de faire apparaître, de dévoiler, de faire voir les choses pour la première fois et pour toujours.

2 Orner et mettre en valeur une pensée claire
-C'est la conception du XVII et XVIIIe siècle (Corneille, Racine, La Fontaine, Boileau), la pensée pourrait appartenir à la prose, la poésie est dans la forme (valeur mnémotechnique du vers, images, rythme oratoire, musique des mots)
-La poésie philosophique en est une illustration particulière : elle met en valeur des maximes, un système organis2 (Lucrèce); c'est une poésie vibrant d'une passion philosophique (Hugo, Vigny) qui sert des symboles; elle condense la pensée, lui donne plus de force et d'éclat.
-Cette poésie trouve sa grandeur dans la richesse et la beauté des idées (Hésiode, Virgile, Dante) mais elle est critiquée par les partisans des autres missions de la poésie et les modernes du XVIIIème siècle,qui pensent que les ornements irrationnels de la poésie affaiblissent la rigueur de la pensée.

3 Exprimer les émois du coeur, comme le fait de la poésie lyrique telle que l'ont surtout conçue les Romantiques : le poète exprime son monde intérieur et sert en même temps d'écho sonore à tous les sentiments
-Comme pour la conception 2, la forme est surtout un ornement, mais la sensibilité, par son caractère irrationnel, devient une attitude poétique qui saisit ce qui échappe à la raison claire.
-Elle rencontre l'opposition de ceux qui considèrent que la sensibilité n'a rien à voir avec la poésie ou qui penchent pour les autres conceptions.

4 La poésie est connaissance, ou plutôt « co-naissance », selon Claudel : c'est à dire qu'en revenant à l'étymologie du mot, elle fait, recrée les choses
-Elle est moyen de connaissance, un des moyens d'apprendre le monde. L'attitude poétique ne consiste pas seulement à exprimer les choses dans un certain style, mais à les voir d'une façon fondamentalement différente de celle du prosateur. La poésie est la « connaissance du réel incréé » ( René Char)Au monde logique que peuvent connaître science, raison, esprit de finesse, la poésie préfère le domaine de l'irrationnel qu'elle seule peut explorer, car l'état poétique est voisin de l'état mystique, et donc essentiellement différent de l'émoi de la sensibilité claire. Par ailleurs, seule la poésie peut, sinon éclairer, du moins faire entrevoir par intuition, grâce à la magie irrationnelle de son langage
-Le poète est un voyant, par conséquent il nous offre un monde qui n'est que merveilles. C'est la position d'Eluard. Cette conception est partagée par Platon, la Pléiade, qui en théorie du moins, voient dans le poète un « vates », un devin (la pléiade se rapproche de la conception 1,2,3 ou 5); c'est aussi le poète voyant ou mage de Hugo hanté par des visions qui lui donnent une intuition du Mystère ( de l'univers^^) qu'il transcrit en image ou en idées, ou le poète symboliste, alors que les chez les Romantiques on trouvait déjà Nerval, explorateur du rêve, et que Baudelaire cherchait à déchiffrer la surnature et les correspondances
-Elle est aussi connaissance des hommes, en particulier ses zones obscures, irrationnelles (Rimbaud : « je fixais des délires ») et connaissance de l'absolu, d'un au-delà dont la poésie ouvre la porte ( Baudelaire et les correspondances). La tentation est alors celle de la poésie pure qui, débarrassé de l'inutile besoin de signifier, hante certains écrivains (Malarmé): on privilégie alors l'image et le rythme. « La poésie,surtout la poésie moderne, n'a nullement pour mobile la pensée […] alors qu'en prose on cherche à fixer, à immobiliser la pensée » (Supervielle) Mais cette conception risque de détourner la poésie de l'humain et de l'éloigner du grand public par son aspect ou côté  obscur (rien à avoir avec Star Wars^^)

5 Elle est chant de l'âme : le poète n'intellectualise pas ses sentiments mais rend musicalement un certain nombre de rythmes profonds qu'il sent en lui
-La poésie est donc musique et accessoirement image, la pensée claire importe peu et le sens ne se rattache que vaguement à l'effet suggestif de l'ensemble (Verlaine, Apollinaire) ou même n'existe pas, la poésie n'étant que libération de l'inconscient (Surréalisme)
-Cette conception présente le danger de limiter l'univers à celui du poète ; la communication devient alors difficile, la poésie renonce à ses autres missions et on peut même penser qu'il y a, chez les Surréalistes, disparition de tout travail artistisque.

6 La poésie engagée: Elle cherche à entraîner, à pousser à l'action, à éveiller l'enthousiasme. C'est une forme de la poésie qui exprime le coeur mais se veut active.
-La poésie a longtemps été didactique (La Fontaine et ses Fables) et se veut de nouveau pédagogique au XIXème siècle, en particulier avec Lamartine et Hugo. Au Xxème, les oeuvres de Claudel, Péguy militent pour leur foi alors qu'un des plus beaux exemples de cette poésie engagée est sans conteste celle de la Résistance (Aragon, Eluard,Char) Le poète chilien Neruda va même jusqu' à dire : « La poésie est une insurrection » et effectivement, elle est souvent un moyen d'expression privilégié pour les opposants aux régimes totalitaires.
-Ses procédés favoris sont le recours aux sentiments simples, aux thèmes mobilisateurs (justice, liberté..), aux images frappantes, aux symboles élémentaires, à l'obsession du rythme.
- On a beaucoup critiqué cette poésie, depuis les Classiques (qui prône le bon sens, la discrétion, la litote), jusqu'à ceux qui jugent l'engagement comme une régression, une prostitution de la muse : Gautier et le Parnasse, Baudelaire, Mallarmé (pour qui la vulgarisation de l'art est une impiété, un gachis), Valéry, Pasternak ( « le poète est comme un arbre dont les feuilles bruissent dans le vent, mais qui n'a le pouvoir de conduire personne. »)
D La poésie en question

1 Elle est rejetée par :
-ceux qui se méfient de sa puissance (Platon)
-ceux qui sont exaspérés par ses formes dégénérées, ses débordements. Flaubert définit dans son Dictionnaire des idées reçues le poète comme « un synonyme noble de nigaud »
-ceux qui lui reprochent son caractère ésotérique, qui semble en faire un art aristocratique, élitaire
-ceux qui la méprisent parce qu'ils sont rationaliste et que seules comptent pour eux les idées claires (Montesquieu)
-tous les « béotiens » sensible uniquement à l'utilité pratique

2 Elle est utile car:
-elle procure un plaisir
physique par sa cadence, sa musique, son chant, son émotion,...
de l'imagination (évasion,fantaisie,mystère,rêve...)
-elle crée la beauté en renouvelant la vision des choses rendues plus essentielles, plus neuves
-elle offre un accès aux choses intellectuelles, aux idées, aux mondes obscurs, aux profondeurs de soi-même, à ce qui dans autrui n'est pas rationnellement communicable et ne peut être suggéré que par l'intuition
-elle affine et enrichit la sensibilité, l'enflamme et l'incite à l'action, console, apaise, permet la communication entre les hommes
-elle a donc une valeur morale, car elle purifie les passions, exalte l'héroïsme, le dévouement national ou social
-elle a aussi une valeur civilisatrice comme en témoigne l'importance de la poésie dans les civilisations antiques.

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